La CFDT, en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès, a mené une nouvelle enquête pour mieux décrypter la société française. Cette vaste étude permet d’identifier les contours du travail « idéal » pour les Français.
Par Nicolas Ballot— Publié le 02/01/2024 à 08h06
©DR
À l’approche de la présidentielle de 2017, lorsque la CFDT interrogeait plus de 200 000 travailleurs via sa grande enquête « Parlons travail », trois répondants sur quatre disaient aimer leur travail, plus de la moitié assurait y prendre du plaisir et autant en être fiers. Plus globalement, la grande majorité des personnes ayant répondu à l’enquête déclaraient entretenir un rapport plutôt positif à leur travail. Six ans, une pandémie de Covid et deux confinements plus tard, qu’en est-il du rapport des Français au travail ?
L’enquête « La société idéale de demain aux yeux des Français », réalisée par Ipsos pour la CFDT et la Fondation Jean-Jaurès, permet d’y voir plus clair sur les attentes actuelles de nos concitoyens vis-à-vis du travail. « Le travail continue de représenter un élément important de la vie des citoyens et des citoyennes, même s’ils [et elles] souhaitent pouvoir le concilier plus facilement avec les autres facettes de la vie, souligne Marylise Léon. Cette enquête conforte les constats posés par la CFDT. »
La recherche d’un cadre sécurisé…
Dans une société en mutation et parfois en perte de repères, l’enquête sur la société idéale montre que les salariés sont en recherche d’un cadre global de travail sécurisant et souple. Et quand on leur demande les principaux critères du poste idéal, « l’intérêt », « le salaire » et « une ambiance de travail agréable » sortent en priorité. Des résultats qui ne sont pas sans rappeler ceux de l’enquête « Parlons travail » : 81 % des répondants affirmaient travailler avant tout pour subvenir à leurs besoins, tout en étant très majoritairement « fiers » de leur travail et heureux avec leurs collègues.
Autre enseignement : il n’y a pas de différence générationnelle marquée concernant ces critères, comme le révèle Jérémie Peltier, codirecteur général de la Fondation Jean-Jaurès. « Contrairement à ce que le débat public peut parfois laisser penser, si les valeurs et le sens du travail sont plus prégnants pour les nouvelles générations, ils ne surpassent pas des critères immuables que sont l’intérêt du travail, le salaire et l’ambiance. »
Une analyse confirmée par la sociologue Dominique Méda dans une récente chronique parue dans Le Monde, qui ajoute que « ces attentes sont encore plus fortes » pour la jeune génération que chez leurs aînés.
“ Les individus ne sont pas faits pour vivre sans liens sociaux, et le numérique ne peut pas remplacer totalement ce lien.”
Jérémie Peltier, codirecteur général de la Fondation Jean-Jaurès
Changement de rythme et travail hybride
L’enquête va à l’encontre d’une autre idée reçue. Elle fait ressortir que le «bougisme» n’est pas un idéal. Les salariés plébiscitent au contraire le CDI, au nom de «la stabilité professionnelle», préféré au changement régulier d’employeur.
En revanche, à l’intérieur de ce cadre sécurisant, ils souhaitent jouir de réelles opportunités pour changer de poste ou de métier au sein de la même entreprise. De même, une nette majorité de Français ne souhaitent pas forcément travailler moins mais aspirent à pouvoir alterner des périodes avec plus ou moins de travail sur l’ensemble de leur carrière. Sur ce point précis, les jeunes sont plus demandeurs de possibilités de changements de rythme au cours de leur carrière, que ce soit pour faire une pause, mieux concilier les temps personnel et professionnel, se former, évoluer ou changer de métier. Selon Jérémie Peltier, même si cela reste un signal faible, « on observe une réelle demande d’arythmie chez la jeune génération ».
“Déjà, en 2016, 73 % des répondants à l’enquête « Parlons travail » exprimaient le souhait de participer davantage aux décisions importantes qui affectent leur entreprise […].”
Cette volonté de souplesse se traduit également par un plébiscite du travail hybride – pour les 40 % de salariés dont le poste est télétravaillable. Ce refus du « 100 % télétravail » – que relaient déjà de nombreuses équipes CFDT – peut être vu comme un retour d’expérience après les confinements. « Les individus ne sont pas faits pour vivre sans liens sociaux, et le numérique ne peut pas remplacer totalement ce lien. Le tout-télétravail ne peut donc pas relever de la société idéale – et encore moins du travail idéal, qui repose sur une nécessaire socialisation », confirme Jérémie Peltier.
Une fonction publique peu attrayante
La conjonction de cette double aspiration à la sécurité et à la souplesse place les entreprises privées (grandes ou moyennes) en premier choix des Français lorsqu’ils se prononcent sur leur endroit idéal pour travailler (55 %), loin devant la fonction publique (25 %).
L’autoentrepreneuriat, pour sa part, ne séduit qu’un répondant sur dix. Cette faible attractivité des fonctions publiques s’explique aisément par « la défiance actuelle vis-à-vis de l’État, de l’action publique et des pouvoirs publics de plus en plus présente dans la société, et qui ruisselle sur la sphère travail », explique Jérémie Peltier. Ce à quoi il faut ajouter le fait que la fonction publique n’est pas assez rémunératrice et que les agents manquent singulièrement de reconnaissance… quand il ne s’agit pas carrément de métiers « à portée de baffes » – pour reprendre l’expression ô combien évocatrice de Jérémie Peltier – comme les enseignants ou les agents des guichets d’accueil au contact direct du public.
L’impérieux besoin d’être écouté
À PROPOS DE L'AUTEUR
rédacteur en chef de Syndicalisme Hebdo et de CFDT Magazine
Dernier élément, et pas des moindres, pour se sentir bien et respectés au travail : les Français veulent être écoutés. Déjà, en 2016, 73 % des répondants à l’enquête « Parlons travail » exprimaient le souhait de participer davantage aux décisions importantes qui affectent leur entreprise, au motif qu’ils « sont souvent plus lucides sur la réalité de l’entreprise que la plupart de leurs dirigeants ».
Cette vieille revendication de la CFDT ne se dément pas, au contraire : dans l’enquête « La société idéale de demain », les trois quarts des Français disent qu’ils « préféreraient un système de cogestion des entreprises entre dirigeants et salariés ». Cette demande de participation et de prise en compte de la parole des salariés au travail relève d’un phénomène plus large dans la société : « Face au sentiment de perte de contrôle sur le cours des événements et des décisions [relevé dans toute l’enquête], la participation au sein de l’entreprise apparaît comme un moyen pour les salariés de redevenir, en partie, acteurs et d’être reconnus », pointe la Fondation Jean-Jaurès, sur fond de fin de la culture de l’allégeance aux figures d’autorité, notamment pour la nouvelle génération, y compris au travail. Des résultats et une analyse en adéquation avec les conclusions de « Parlons travail » : « Les travailleurs rejettent l’idée d’un monde du travail placé sous le règne de la hiérarchie et du silence. Ce modèle semble bien périmé. Les gens veulent s’exprimer, avoir leur mot à dire, être utiles, avoir du sens. Ceux qui souffrent au travail sont ceux qui disent n’avoir aucune liberté pour l’organiser, aucun espace pour s’exprimer, aucun sens à leur activité. »